Histoire
Aussi loin que je m’en souvienne, j’avais déjà tracé mon chemin à mon enfance, réfutant le destin qui m’était destiné. Les responsabilités que l’on m’avait octroyé ne coupait en rien à ma liberté. Laissant mes ailes se déployer, je préparais mon envol vers la destination que j’avais choisi, et non pas celle que l’on exigeait que je prenne. Si j’avais la liberté de faire ce qu’il me plaisait lorsque j’aurais atteint la position qu’ils voulaient que je prenne, pourquoi ne pouvais-je donc pas uniquement refuser ce poste pour me diriger directement vers mon lieu de prédilection ? Voilà ce que j’en pensais…
« Jeune maître ! Notre famille est en déclin et se déchire depuis la mort de votre père ! Seul vous pourrez la recomposer, je vous en prie jeune maître ! »
Peu importe combien de fois j’entendais cet argument, je n’allais pas changer d’avis. Je savais déjà que je n’étais pas taillé pour le travail qu’il me demandait. Ce n’était pas que je n’avais pas confiance en mes capacités, ni même que je n’aurais pas la détermination nécessaire pour réunir notre… « Famille »… Ou peut-être était-ce un peu de cela. En toute franchise, aussi cruel que cela pouvait paraître, je ne voulais ni reprendre les affaires familiales, ni la reconstituer et la rendre forte.
« Jeune maître, si vous prenez le contrôle… On n’aura sans doute plus à se cacher des autres ! On pourra s’élever aussi haut que les autres ! »
Encore un argument futile contre moi, après tout… Je détestais les activités de cette famille. Pourquoi n’avais-je pas pu naître dans une famille plus normale ? J’aurais même accepté n’importe quoi qui n’exigerait pas d’entacher son âme de points sombres. Cela dit, je n’y pouvais rien. J’acceptais le fait d’être né dans cette petite organisation, je ne pouvais pas le changer après tout. Toutefois, j’avais le choix de prendre mon futur en main. Je pouvais façonner mon propre futur.
Je répondais à ce genre d’explication avec seulement un regard innocent accompagné d’un sourire aussi pur. En général, cela suffisait pour les faire taire, pour leur faire rendre compte de ce qu’il demandait et de ce qu’il exigeait d’un homme aussi jeune, n’ayant même pas atteint sa maturité. Certes, j’avais été formé depuis ma naissance pour succéder à mon paternel, mais ce n’était pas une raison pour laquelle on devait faire porter un fardeau aussi grand à un garçon.
La succession de la position de chef… Voilà ce qui brisait cette famille. Dès lors qu’un leader disparaissait, c’était toujours le désordre total. Alors que certaines personnes souhaitaient avoir le pouvoir pour elles-mêmes, d’autres se battaient pour que le légitime fils soit à la tête de l’organisation, sans même me demander mon avis. Quoi qu’il en soit, je le savais. Le jour où mon père avait perdu la vie… Ce jour avait sonné la destruction et la fin de cette « famille ».
« Enfin, cette mafia était finie. » Voilà ce que je pensais de tout cela.
Tout ce que je voulais, c’était briller en tant que fier défenseur de l’humanité, comme un héros. A l’image de ces chevaliers blancs que l’on trouvait dans les livres, je voulais protéger les gens qui m’étaient chers, repousser le mal… Sauver le monde. Je voulais suivre cette pure voie noble. Ironique pour quelqu’un ayant les pieds trempés dans les ténèbres dès la naissance, pas vrai ? Qu’est-ce qui m’aurait poussé à choisir un tel chemin ?
Les livres n’auraient sans doute pas pu m’influencer autant, il est sûr. Pourtant, cela avait joué un rôle sans pareil en premier temps. Ma propre conscience était différente de celle des gens qui m’entouraient. Comment cela avait-il pu être possible étant donné que mon père était pleinement impliqué dans ce mal que je méprisais tant ? Peut-être était-ce dû à l’école qui avait eu un impact sur ma vision des choses. Ou peut-être était-ce dû à cette charge qui s’accumulait depuis ma naissance… ? Tout ce que je savais, c’était que j’avais commencé à mépriser le mal, et tout ce qui s’en rapportait lorsque j’étais à bout. Et surtout, j’admirais les récits de ma mère. Même si elle avait changé… Même si elle avait fini par se plier aux règles de cette « famille », j’admirais vraiment son passé de Huntress, même maintenant. Je n’arrivais pas à comprendre ses choix. Comment avait-elle pu abandonner une telle vie pour se retrouver dans une situation pareille ? Peu importe combien de fois elle me l’expliquait, je n’y trouvais pas de raison logique derrière cela. L’amour… ? L’amour, c’est quoi ?
« Jeune maître… C’est l’heure de l’entraînement. »
C’était déjà l’heure ? Fermant alors le livre dans lequel j’avais plongé une partie de mon attention, je vins à le déposer près des autres avant de me lever et de suivre mon instructeur sans dire un mot. Depuis quand avais-je arrêté de parler avec cette famille ? La force et l’envie m’en manquaient. Puis… J’avais même fini par adopter cette attitude très silencieuse qu’importe la situation.
« Au fait jeune maître… Avez-vous clarifié les choses avec cette personne qui voulait sortir avec vous ? Je pense qu’il serait mieux de lui dire que… Enfin, voyez-vous… »
Cette personne ? Oh, il était vrai qu’un homme de mon âge cherchait à sortir avec moi. J’avais fini par accepter d’un hochement de la tête, avant de rentrer, après tout… L’école était une bonne occasion pour se faire des amis n’est-ce pas ? A cause de cette famille et des rumeurs me concernant, j’avais toujours été seul. Alors, pourquoi pas ?
« Euh… Il devrait savoir que vous n’êtes pas de sexe féminin, jeune maître. »
C’était donc ce qu’il voulait me dire. Ceci dit, je ne voyais pas la raison pour laquelle cela pourrait gêner ce nouvel ami que je sois une femme ou une homme. Si un ami souhaite s’amuser, cela peut se faire avec les deux sexes. L’amusement n’est pas réservé à un genre précis.
« Et je ne pense pas qu’il souhaitait sortir avec vous, dans le sens de s’amuser entre amis. Je pense que cela avait un sens plus profond. Ainsi, assurez-vous de rejeter son offre une fois que vous le verrez de nouveau… De plus, je vous rappelle que vous êtes déjà pris ce Week-end. »
Pas dans ce sens… ? Alors dans lequel ? Je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire. Depuis toujours, cette famille faisait en sorte que j’évite d’être ami avec d’autres personnes. Cela devait sans doute être le cas, une nouvelle fois. Je n’étais pas tout à fait libre. Pas encore. Pas encore… Je devais endurer, endurer jusqu’au moment opportun, où je pourrais enfin dire adieu à cette vie-là pour entamer celle dont j’avais toujours rêvé.
« Il n’empêche, jeune maître, que votre évolution est flagrante. »
Je lui adressais un air légèrement interrogateur. Est-ce qu’il reconnaissait mes compétences après tant d’année ? Je doutais que ce soit réellement le cas. Peut-être était-ce une de ses idées pour que je vienne à m’énerver ou ce genre de choses.
« Huit années… En huit ans, vous n’avez toujours pas pu m’égaler, mais votre maîtrise de la lame est bien plus avancée à ce jour. »
En toute honnêteté, je m’affolerais vraiment si j’avais stagné au niveau de mes huit ans. Bien entendu que je m’étais amélioré depuis tout ce temps. Je n’étais plus un enfant sans défense. Il est vrai que ce fut grâce à Green que mes compétences se soient aussi aiguisées, mais je me rappelais surtout avoir enduré un enfer, autant physique que mental. A cette époque, je le détestais vraiment.
« Néanmoins, c’est loin d’être suffisant, jeune maître. Pourquoi ne pas y mettre toutes vos forces ? Utiliser toute votre énergie… ? Me combattre avec tout ce que vous avez, sans vous retenir ? J’ai eu plus de mal contre vous lors de votre dixième anniversaire qu’aujourd’hui. »
J’en étais sûr. Green était plutôt prévisible. Il essayait de me pousser à bout, comme lors de cette journée… A ce moment, une étrange énergie me donnait la force de me rebeller. Ma mémoire n’était pas parfaite, alors je ne me rappelais plus de ce qu’il s’était exactement passé pour ressentir cela et me surpasser complètement, mais je savais que j’étais à bout… Non, j’avais explosé. Oui, c’était ça. Je me sentais mal aimé, en quelque sorte. Parce que je ne répondais pas à leurs attentes, je me sentais misérable, seul…
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« Idiot ! Alors qu’est-ce que t’as le mioche ! T’en peux déjà plus ? Relèves-toi ! »Aujourd’hui… Aujourd’hui c’est mon anniversaire… J’espérais que… J’espérais que… Aujourd’hui… Je veux juste profiter de ce jour… Pourquoi ? Pourquoi papa me fait tout ça ? Pourquoi maman ne dit rien ? J’ai mal… C’est dur…
J’étais étalé sur le sol, le corps pratiquement en miettes. Je n’arrivais plus à ressentir le bout de mes doigts. Je sentais que mes jambes ne me répondaient plus. Pourtant, cela continuait encore, et encore. C’était toujours comme cela lors des vacances scolaires… Non, l’année dernière, ce n’était pas aussi dense. Pourquoi devais-je subir un tel entraînement cette fois-ci ? Cela n’avait pas de sens… Était-ce aussi difficile d’être un héros ? Est-ce que tous les héros vivaient aussi ce genre de souffrance en étant petit ?
Une légère douleur me prit sur le dessus du crâne. Puis, ma tête se suréleva du sol, avant que le dessus de mon corps ne le fasse à son tour. M’ayant attrapé par les cheveux, le violent instructeur vint alors m’adresser la parole de plus prêt, plus déterminé et semblant être en colère.
« Toi… J’t’ai dit de te lever pas vrai… !? Quoi ? Ça fait même pas une heure qu’on a commencé. J’dois encore m’occuper de toi pendant un longue heure alors que je pourrais être en train de me la couler douce avec des donzelles du coin, ça me fait tout autant chier que toi alors lève-toi. Maintenant. »J’ai mal… J’ai mal… Il m’a enfin lâché… Je le déteste… Il est méchant…
Retenant mes larmes, je vins alors à me remettre sur pied avant d’attraper le sabre en bois au sol. Était-ce vraiment ce qu’un enfant devait endurer ? Je n’avais pas l’impression que ce soit le cas quand je voyais les autres mais… On m’avait interdit de m’approcher des autres enfants, et ce même à l’école. Je savais que ma famille était un peu spéciale, mais était-ce si différent… ? En tout cas… Je la détestais. Je détestais, tout ça. Ce n’étaient pas des héros, ces gens-là étaient des vilains. Des méchants.
Je me mis alors en garde, même si je tremblotais toujours un peu. Je passais outre de mes mauvaises pensées pour me concentrer sur l’échange. Après tout, si j’étais diverti, cela pouvait mal se passer pour moi, et je subirais encore plus de coups.
« Laisse moi te dire un truc gamin, tu serais plus compétent je serais p’tet plus tendre avec toi. Mais, le manque de résultat que tu montres aux autres, au boss, ça se répercute sur moi aussi ! Je suis sensé faire en sorte que tu sois capable de te battre, mais toi… Regarde-toi ! T’es qu’une lavette, pire qu’une fillette ! Montre-moi que t’es un homme merde ! »Dans les livres de fiction, on voyait des héros commencer leur périple à mon âge… Peut-être disait-il la vérité. Peut-être n’étais-je tout simplement pas assez fort pour que je mérite de l’attention… Peut-être étais-je trop faible pour avoir droit d’être libre, comme ces chevaliers blancs… Haha… Moi aussi j’aimerais être comme eux…
Je ne pouvais pas rêvasser plus longtemps, étant donné que ce n’était pas moi qui avait attaqué en premier, et que je prenais trop de temps pour le faire, le professeur décida donc de s’avancer et d’agir brusquement comme pour me secouer et me réveiller. Au moins, cet acte avait le mérite d’avoir fonctionné. Alors qu’il avait balancé son arme de haut en bas, je fis un pas de côté pour esquiver son assaut. Après une esquive… Contre-attaque ! En effet, je devais répliquer, auquel cas je n’aurais aucune chance de le toucher, logique. S’il avait fait une attaque verticale, j’allais répondre par une coupe horizontale !
« C’est quoi ce coup tout mou gamin ! »Ah… J’ai raté… Arg, pas encore ! Même si j’avais manqué ma cible, j’avais toujours l’ascendant pour-…
« Trop lent ! »Je vis alors venir la pointe en bois se diriger entre mes yeux. Je réagissais toujours lentement. Ma technique était faible. Et je ne pouvais rien dire sur ma force étant donné que je n’avais pas réussi à toucher ce type une seule fois. En tout cas, ce n’était pas ça qui allait me mettre hors-jeu… Pas maintenant… Pas ça… Je pouvais le faire, je pouvais faire mieux… Je faisais mieux… Père allait sûrement le reconnaître, et… Mon anniversaire…
Je reculais alors par réflexe afin d’éviter de prendre l’estoc, mais j’avais l’impression que l’attaque me poursuivait. Cette sensation fit pression sur mes jambes qui lâchèrent finalement, me faisant ainsi tomber sans que je ne subisse le moindre coup.
« Et voilà, encore tombé pour rien. Pourquoi j’dois m’occuper d’un gosse pareil, tss ! Tu fais aucun putain de progrès alors que ça fait deux ans qu’on bosse. Et me sort pas l’excuse du fait que j’suis adulte, avec deux ans d’expériences tu dois être capable de faire bien mieux que ça bordel ! Fais chier, ça me fatigue encore plus d’être en colère contre un môme que de me battre contre celui-ci… Ah. Aujourd’hui… J’ai aussi un mot de la part de ton père, j’avais oublié. Si tu me touches pas une fois durant tout l’entraînement, tu peux oublier ton anniversaire. Et tout ce qui va avec. Encore… Cinquante minutes. J’crois que tu peux faire une croix sur tes jours d’anniversaires maintenant… Jeune maître. »Eh… ? Vraiment… ? Pourquoi… ? Papa… ? Maman, t’es d’accord… ? Cette fois, je ne pus retenir mes larmes. J’avais comme abandonné. C’est vrai, c’était tout bonnement impossible que je le touche alors que je ne l’effleurais même pas, et que j’étais loin de le faire.
« Et… Mon… Instrument… ?
- Oublies. Tu peux t’en prendre qu’à toi, gamin… M’enfin, jeune maître. Franchement, parce que t’es son fils… Il croit en toi et tout mais… T’as pas le profil. Tu pourras jamais nous diriger, alors à quoi bon t’entraîner… »Je ne comprenais pas ce qu’il disait. Je ne savais pas pourquoi il agissait de cette manière… Je le détestais, je le détestais… Papa… Lui… Je les détestais. Il voulait que je m’entraîne avec l’envie de le tabasser à mort ? Si c’était le cas, c’était réussi. Complètement. Et même, c’était étonnant mais… Cette fois, c’était moi, et moi seul qui me jetais à la gueule du loup. Je détestais ces entraînements où l’instructeur ne se ménageait pas pour me maltraiter lors des combats, mais j’avais choisi de me relever pour y aller au plus vite. Il fallait croire… Il fallait croire que je tenais vraiment aux promesses qui étaient liées à ce dixième anniversaire. Et je ne voulais pas que tout ceci disparaisse. Non, je ne voulais pas que tout s’envole.
Me relevant alors, plus que déterminé, j’essuyais très vite mes larmes avant de reprendre le bâton en main. La colère, la tristesse, l’envie… En quelques sortes, mes sentiments contrôlaient mes actes. Mes yeux montraient un tout nouveau niveau de conviction. Mon corps était prêt à recevoir des coups si je pouvais lui en donner au moins un… Non, un seul ne suffisait pas. Je voulais vraiment le tabasser. J’oubliais ma faiblesse. J’oubliais mon caractère. J’oubliais tout pour me concentrer sur ma cible. Je ne gardais en mémoire que ses instructions de combat. J’allais m’en servir pour le tabasser… Et comme ça… Comme ça…
Qu’importe. J’allais le faire, c’était tout ce qui comptait. Pour la première fois en deux ans, je m’étais élancé face à Green, abattant un premier coup de sabre qui ne le fit aucunement broncher. Il avait évité ? Soit, je n’allais pas m’arrêter cette fois ! Pour que la combinaison d’attaque soit fluide, je ne devais pas faire le même coup, mais j’allais tout de même poursuivre la position du mafieux de mon arme. Verticale donc… Horizontale, par là ! Raté ? Tss ! Coup en croix ! Rotation puis frappe horizontale ! … Verticale, verticale ! Estoc !
Pourquoi ? Pourquoi ne le touchais-je guère ? Il n’avait même pas l’air de forcer. C’était naturel pour lui d’esquiver ce genre d’attaque ? Ou la forme de celles que je lançais étaient étranges et imprécises, imparfaites… ? Ou… J’étais trop loin ? Je ne réfléchissais pas plus. Je rectifiais ce que je pouvais changer. Je devais faire moins de mouvements inutiles, mais surtout, je ne devais pas le laisser la chance de riposter. Si j’attaquais encore et encore, j’aurais l’avantage… Non ?
Une rapide contre-attaque fut lancée de sa part. Par réflexe, je pus parer le coup. Mes sens étaient à l’affût, fort heureusement… Mais, je ne devrais pas être étonné de cela… Je ne devrais pas… C’était évident que si mes mouvements ne lui procuraient aucun mal, il pourrait attaquer à tout moment. C’était évident… Mais c’était si frustrant ! Pourquoi je n’arrivais pas à le toucher ? Étais-je vraiment sans compétence ? Trop lent, sans aucune technique… ? Fais chier… Non, pas encore. Il reste moins de quarante minutes. Je peux le faire. Je vais le faire.
Je tentais alors de plus dangereuses approches, réduisant l’écart entre lui et moi pour attaquer. Bien que c’était risqué, cela valait le coup aussi. Il semblait bien plus attentif, et bien moins grande-gueule… Non, il était comme concentré… Lui… ? Je… Huh ? Ça fait mal… ? Huh ? Le plafond ? Un coup que je n’avais pas aperçu avait fini par me mettre au sol, une énième fois. N’étais-je bon que pour admirer ce foutu plafond ?
« … Dommage, jeune maître. C’était bien parti, mais à cause d’une malheureuse et pauvre erreur de débutant… On en revient au même résultat. Si tu étais un peu plus rapide, tu pourrais en effet me toucher… Mais bon, j’imagine que je peux te féliciter pour cette performance tout de même… Ce n’est pas comme si tu pourras être capable de me battre de toute façon. »Je ne l’écoutais pas. Il avait beau dire de mauvaises choses sur moi, je ne l’écoutais pas. Je me concentrais. Il me restait du temps. Recommençons. Si je me concentrais davantage… Si je laissais mes émotions devenir une force… Je pourrais le toucher.
Sans faire un bruit, je me relevais encore une fois pour me remettre à avancer. Mes jambes sont lourdes… Non, n’y pense pas. J’ai mal partout… N’y pense pas ! Mes bras me répondent à peine… Non, n’y pense pas ! Je peux marcher… Je peux donc courir… Je peux lever ce sabre… Alors je peux me battre…
Je me stoppais quelques minutes, mon corps me forçant à le faire pour récupérer un minimum avant donner mon maximum. Sans vraiment le savoir, j’avais comme décidé que cela allait être mon dernier échange avec lui pour ce jour… Mais aussi, l’échange où je réussirais à le toucher. C’était étrange… Depuis mon dernier assaut, Green était silencieux. Je ne l’entendais plus se plaindre… Avait-il envie d’aller aux toilettes et refusait-il de l’admettre ? Eh bien… Ce n’était pas mes affaires.
Je me ruais alors soudainement sur mon instructeur, sans prévenir. La surprise fut telle qu’il ne réussit pas à éviter l’attaque, non. Il dut la parer à l’aide de son arme, ce qui était parfait pour moi. Je répétais alors les différents mouvements que j’avais pu apprendre. Esquivé, esquivé… Paré… Évité… Paré… Esquivé… Contré !? Cela ne changeait rien, je n’arrivais toujours pas à le toucher, ni même à l’effleurer. Lorsqu’il esquivait, il avait toujours l’occasion de m’attaquer… Mais il ne le faisait qu’une fois sur trois. Pourquoi ? Cela avait-il avoir avec le timing… ? Peut-être que le mien était… Lent ? Alors, plus vite ! Je devais aller plus vite ! Plus vite ! Plus vite ! Plus vite !
Je répétais toujours les mêmes mouvements, alternant juste leur apparition. Coup en croix, estoc, coupe horizontale, estoc, rotation avant de refaire une frappe horizontale, frappe horizontale de l’autre côté puis verticale… Puis, lorsqu’il le fallait, je faisais en sorte d’esquiver les lentes attaques du professeur, ou les parer à la limite. Ceci dit… Je devais attaquer. Attaquer… Plus vite… Plus vite !
Je m’étais complètement perdu dans un rythme nouveau. Chacune de mes attaques en entraînaient une autre sans que je ne m’en rende compte. Je m’étais comme emprisonné de mon propre assaut… Mais, c’était bien. Je sentais que j’allais plus vite en faisant cela… Pourquoi ? Je ne le savais pas, je ne cherchais pas à comprendre. Dans mon esprit, seul l’idée de vouloir aller plus vite subsistait. Je ne voyais plus que ma cible… Et je frappais, frappais, frappais, et ce sans comprendre. Plus vite, plus vite, plus vite… Je n’arrivais plus à remarquer les détails, mais j’arrivais toujours à ressentir lorsque Green cherchait à contre-attaquer. Je le voyais toujours… C’était bon. Cela me suffisait pour continuer. Alors… Plus vite ! Plus vite !
C’était étrange. J’avais l’impression que l’instructeur cherchait à riposter de plus en plus… N’était-ce qu’une impression ? Je n’en savais rien. Je me contentais d’aller plus vite. Je ne le touchais toujours pas… Toujours pas ! Alors, je devais aller plus vite ! Pourquoi arrivait-il toujours à parer mes attaques, et à contrer en même temps ? Je ne comprenais rien ! Non… Pas encore ! Je peux le faire, maintenant !
Cette vision, pour une raison comme une autre, m’était très claire. Je voyais ses côtes droites complètement à découvert. Ses jambes n’étaient pas placées de sorte à pouvoir éviter… Je ne voyais son arme nulle part. Si je le frappais ici… J’allais pouvoir le faire ! J’all-…
C’était fini. Sans comprendre comment, pourquoi, ni rien, je contemplais de nouveau le plafond. Mes forces m’abandonnaient. Je ne pouvais plus bouger du tout, je voyais de moins en moins bien… Je n’arrivais plus à penser à quoi que ce soit… Je n’avais même pas mal.
« Pl...us… V….i...te… », furent les mots qui accompagnaient les quelques perles cristallines qui coulèrent le long de mon visage.
Lorsque je m’étais réveillé, je me trouvais dans un hôpital, avec un ocarina sur la petite table.
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A ce moment, la seule chose dont je me souvenais, c’était que j’étais totalement focalisé sur le fait de vouloir être plus rapide pour pouvoir toucher Green. J’étais tellement focalisé sur cela que je n’avais pas remarqué que l’instructeur avait fini par se faire toucher de nombreuses fois, et avait dû utiliser les pleins moyens pour me faire perdre conscience. Ou en tout cas, c’était ce qu’il m’avait dit. Pour être franc… Je ne me rappelle plus vraiment de cette journée… Je sais juste que j’avais passé beaucoup de temps à cet hôpital, et qu’après cela l’ardeur de ma famille se calma légèrement. J’avais bien moins de pressions suite à cet incident, et, j’avais pu avoir un instrument de musique. Même si ce n’était pas celui que je voulais, il faisait tout de même un jolie son. Malgré cela… J’ai l’impression d’avoir oublié une importante promesse… Avec mon père ? … Sacré journée, celle de mes dix ans.
Je fis alors un sourire pour répondre à la remarque de l’adulte, mais je ne prononçais pas un seul mot. Lui qui avait vécu ça devait mieux savoir que moi qui avait complètement oublié, sans doute dû à l’âge.
En tout cas, les exercices journaliers étaient terminés. Peut-être était-ce la seule chose de bien dans cette vie, dans cette organisation. La formation que l’on me faisait me permettait d’évoluer physiquement, d’apprendre à me battre… C’était tout ce que j’espérais avant d’intégrer cette fameuse école. De cette façon, j’avais bien plus de chance de passer les examens. Par ailleurs, au cas où je ne serais pas accepté, j’aurais toujours de quoi faire pour suivre mon objectif. Même si au départ, je trouvais cela abusé… Je détestais complètement cela. J’avais fini par apprécier ces moments, tout comme Green. Il fallait dire qu’il était moins sévère après cette journée d’anniversaire.
« Jeune maître… Je sais que cela est difficile pour vous, mais je vous en prie… N’abandonnez la famille. Elle en déclin, certes… Elle n’a pas d’influence, certes… Mais elle a toujours été à vos côtés. Reconsidérez votre rêve de rejoindre Beacon. Nous avons besoin de vous ici. Si vous ne vous sentez pas prêt pour donner des ordres, vous pourrez faire appel à nous pour vous épauler. Nous serons heureux de vous guider. »Quand était-ce la dernière fois que j’avais pu entendre mon prénom par ici ? Ma mère… A part elle et mon père lorsqu’il était encore là, personne n’avait le courage de m’appeler par mon prénom. Personne. Jeune maître, jeune maître, jeune maître… J’en avais assez, vraiment.
« Je ne veux pas de cette vie, Green. Je ne supporterais pas de travailler aussi salement juste pour notre propre cause. Si je viens à être à la tête de l’organisation à mon âge, je serais la cible des jaloux et des perturbateurs externes cherchant à profiter de l’occasion. De plus, chacun de vous exigerait que je continue les fonctions de mon père, et que je le surpasse. Personne ne m’écoutera si je viens à les changer, si je demande à protéger les villages quitte à se mettre en première ligne et à mourir pour les villageois… Si je demande à ce qu’on aille exterminer des Grimms par pure noblesse… Si je demande à ce que l’on arrête nos activités malhonnêtes, quitte à ce que l’on souffre d’un manque cruel d’argent… Notre situation ici ne nous permet rien de cela. Green, tu devrais savoir comment je suis depuis le temps que l’on est ensemble. Je ne veux pas d’une vie de mafieux. Je suis absolument contre cela. Si vous n’étiez pas… ‘Ma famille’, j’aurais déjà fait en sorte de vous éliminer. Mais, ne vous en faites pas. Je n’en ferais rien. »Mon sourire persistant complémentait cette longue prise de parole, et cela avait pour conséquence de faire grogner mon interlocuteur. Il savait pertinemment qu’il n’arriverait pas à me faire changer d’avis, et pourtant il essayait encore et encore. Néanmoins, avec cette réponse-là, je savais qu’il avait fini par se faire à l’idée qu’il faudra faire sans moi.
« Pour une fois que le jeune maître parle un peu, c’est pour me dire ça hein… »Enfin. Enfin, j’allais être tranquille. J’allais pouvoir participer à l’examen sans soucis… J’allais pouvoir -…
« Au fait jeune maître, il vous faudra convaincre les autres membres… Et si vous n’êtes pas prêt à prendre vos responsabilités, il vous faudra tout de même trouver un moyen pour que l’on puisse subsister. La famille ne va pas… Même si c’est vous, elle ne va pas vous lâcher facilement. »Un léger soupir se fit entendre suite à sa remarque. Alors, c’était vraiment comme cela ? Il fallait tout de même que je fasse quelque chose… Je n’avais donc pas le choix. Je devais continuer d’endurer, jusqu’à la fin. Bientôt. Bientôt…
« Et aussi… Là où vous voulez aller, il vous sera plus simple de ne pas porter votre masque. N’ayez pas honte de votre visage pour si peu. »Bientôt… Je pourrais suivre ma propre voie.
Samedi. Ce jour arriva bien vite. J’avais annulé ma sortie avec ce nouvel ami qui semblait bien déçu pour me préoccuper des affaires de famille. Je n’avais pas le choix. Avec cela, on sera enfin décidé. Avec ça, j’allais pouvoir être libre, j’allais pouvoir aller à Beacon.
« Tout le monde est présent… La réunion va pouvoir commencer. »Aussitôt que cela commença, aussitôt le débat arriva. Cela s’engueulait, cela montrait ses forces… En l’état, certaines personnes avaient même recourt à cette force. Et tout cela pour quoi ? Pour une place dont je n’avais pas envie de prendre. Après plusieurs heures de conflits, je vins à être fatigué de tout cela, assez pour que j’en vienne à prendre la parole.
« Je vais à Beacon. »Ma voix porta suffisamment pour que tout le monde vint à l’entendre. Par ailleurs, cela avait aussi pu attirer l’attention de tous étant donné le peu de fois où je venais à parler. Un long silence se fit avant que je ne continue, leurs yeux me fixant comme s’ils attendaient une révélation divine.
« Ma jeunesse est un défaut majeur à prendre en compte. En l’état, je ne peux absolument pas assurer les fonctions de chef. En premier temps, il me faut davantage d’expérience… Il me faut aussi être davantage mature. Alors, je vais aller à Beacon. Une fois que je serais plus âgé, peut-être que j’aurais un moyen pour vous aider. Cependant, cela paraît bien plus qu’évident que si je suis à la tête de l’organisation, celle-ci risque de couler très rapidement et très salement. Pour l’heure, West prendra les commandes. C’est l’homme le plus qualifié, je le recommande vivement. Il saura vous faire survivre dans cette période noire. »J’avais choisi cette personne en connaissance de cause. C’était un bon allié de mon père, mais il était aussi plus raisonnable. Je savais qu’il pourrait faire de meilleurs choix que ce foutu paternel, et je savais aussi qu’il avait ce qu’il fallait pour remplir ses nouvelles fonctions. J’aurais dû le désigner dès le départ au lieu de faire traîner les choses… En tout cas, j’en avais fini là pour ma part. Me levant de ma position, je vins alors à quitter la salle sans dire un mot de plus afin de rejoindre ma chambre.
Le lendemain fut bien plus calme. Tous avaient l’air d’admettre West en tant que leader. Ceux qui me soutenaient venaient forcément à le soutenir… Et avec ceux qui le soutenaient déjà, sa force et son influence étaient suffisamment grandes pour que les autres n’essaient pas de le défier. Enfin un peu de silence… Jusqu’au moment où cette personne vint me voir.
« Jeune… Mmh… Il y aurait quelque chose que j’aimerai clarifier avec vous… Pourquoi m’avoir désigné ? »Je ne lui donnais guère le luxe d’une réponse constructive. Je ne lui retournais qu’un simple sourire.
« … Je me montrerais à la hauteur de vos attentes. », fit-il avant de s’incliner légèrement et de partir.
Enfin. Tout était enfin réglé. Même si ce n’était que partiellement, j’allais pouvoir être tranquille. Je savais qu’ils allaient garder un œil sur moi, je savais qu’ils n’allaient pas me lâcher… Mais je savais que j’aurais enfin la paix tant que je serais encore élève. Une fois que je serais plus vieux, je pourrais facilement les convaincre, j’en étais certain.
L’année scolaire fut terminée. Les examens furent terminés… Tous. Et, surtout… J’allais enfin pouvoir faire les premiers pas sur le chemin que j’avais choisi. Enfin. Du moins, il fallait d’abord que je m’occupe de deux trois papiers. Pour le coup, je savais que la formation que j’avais choisi n’allait pas suffire afin que je puisse prétendre à l’académie. Il fallait d’abord que je modifie mon passé… Oui, c’était tricher, en quelque sorte… Mais pour le coup, je n’avais pas d’autres choix que de le faire. Même si cela me répugnait de le faire, je devais le faire. C’était l’unique moyen pour moi d’entrer à Beacon.
« West, il va falloir que tu m’aides. »Étant donné que je me débrouillais toujours seul, le nouveau maître de la famille fut quelque peu confus, avant de me prêter totalement son attention. Évidemment, il aurait pu refuser, mais par respect à l’égard de mon défunt père, il était prêt à tout pour m’épauler et faire en sorte que j’atteigne mon rêve… Et surtout si cela me permettait d’évoluer vite pour revenir auprès de l’organisation qui me revenait de droit à la base.
« Falsifies les papiers me concernant. Fais en sorte de communiquer avec les écoles où j’ai été, dis leur de se taire à mon sujet et supprimes les données qui évoquent mon nom. Par ailleurs, avec les centres de formation militaire et de combat, par exemple à Signal… Fait en sorte d’y insérer discrètement mes données. J’ai besoin d’au moins cela, de ce genre de dossier pour intégrer Beacon. Fais aussi le nécessaire pour arriver à cette fin-là. Il se peut qu’il y ait bien d’autres choses à faire, mais je te fais confiance pour cela. Même si notre famille est sur le déclin, il reste facile d’effectuer ce genre de choses pour vous, n’est-ce pas ? Si tu réussies… Ça sera la preuve que tu peux diriger la mafia en mon absence. »L’ordre étant donné, je n’avais plus qu’à attendre que tout se concrétise pour finalement pouvoir mettre les pieds sur l’académie. Que ce secret me poursuive, je ne le laisserais pas être découvert. Qu’il reste sur moi, je me montrerais suffisamment apte pour qu’il ne devienne plus que broutille.